DE L’EFFICACITE SYMBOLIQUE par David LE BRETON

25 octobre 2004

par PSF-redaction

DE L’EFFICACITE SYMBOLIQUE

par David LE BRETON [1]

ARGUMENT

Chaque communauté humaine se forge une représentation propre du monde qui l’entoure et des hommes qui la composent. L’homme fait le monde en même temps que le monde fait l’homme à travers une relation changeante selon les sociétés, dont l’ethnographie, par exemple, nous montre les innombrables versions. Les sociétés humaines sont des matières de symboles. Le corps n’échappent pas à cette règle : les représentations qui le visent et les efficacités dont il est susceptible sont éminemment variables d’un lieu et d’un temps à l’autre des sociétés humaines. Cette conférence se propose une mise en perspective anthropologique, en partant du corps, de l’efficacité symbolique.

David Le Breton est anthropologue, professeur à l’université de Paris X-Nanterre. Auteur de Corps et sociétés (Méridiens-Klincsieck, 1985) ; Anthropologie du corps et modernité (PUF, 1990), Passions du risque (Métailié, 1991) ; Des visages. Essai d’anthropologie (Métailié, 1992).

DE L’EFFICACITE SYMBOLIQUE

 [2]

par David LE BRETON

Chaque communauté humaine se forge une représentation propre du monde qui l’entoure et des hommes qui la composent. Elle ordonne les raisons d’être de l’organisation sociale et culturelle. Elle ritualise les liens des hommes entre eux et les relations que ceux-ci entretiennent avec leur environnement. L’homme fait le monde en même temps que le monde fait l’homme, à travers une relation changeante selon les sociétés et dont l’ethnographie par exemple, nous montre les innombrables versions. Les sociétés humaines sont des matières de symboles. Toujours, il s’agit de réduire le monde à l’humain, mais selon un imaginaire social propre à un groupe particulier, lui-même tributaire d’une histoire et de l’influence possible d’autres groupes.

Face à la résistance que leur oppose leur milieu d’insertion les hommes s’inscrivent dans son épaisseur et construisent dans un débat permanent avec lui l’univers de sens et de valeurs qui permet l’existence collective. Le réel n’est jamais une donnée brute, un univers matériel immuable, plus ou moins bien décodé selon les sociétés. Les sciences sociales montrent en abondance l’absence d’unanimité sur une définition précise de la réalité. Ni le vrai, ni le faux ne sont des catégories aptes à juger de ces visions du monde. La culture, ou plutôt l’imaginaire social, n’est jamais une décoration de peu d’incidence, un ornement quelque peu superflu, revêtant une nature objective et incontestable, claire aux yeux des sciences occidentales, et obscure aux autres sociétés à la suite d’erreurs d’observation ou des insuffisances d’une mentalité prélogique marquée par "une application erronée des lois de la causalité" (A. Van Gennep). Il n’y a ni vérité ni erreur mais seulement des univers symboliques en équation donnée face à leur environnement et qui enchevêtrent la vie quotidienne des acteurs, rendant possible le lien social, potentialisant des énergies, animant le milieu où ils existent et le rendant propice à accueillir une entreprise humaine donnée.

Toute action de l’homme sur son environnement se soutient d’un système de sens et de valeurs. Il n’y a pas d’expérience pure du monde naturel. A moins de supposer qu’une société puisse à une période de son histoire atteindre l’essence même de la réalité et cesser d’être nourrie de culture. Mais chaque société humaine est convaincue bien entendu qu’elle le fait. Toute description du monde est une symbolisation, c’est-à-dire une interprétation, dont la valeur se mesure au degré d’adhésion qu’elle suscite dans le collectif et aux efficacités qu’elle est susceptible de produire aux regards des attentes communes qu’elle a créées. L’homme ne vit pas dans un univers purement matériel, il vit dans un univers de sens et de valeurs. E. Cassirer en souligne bien la singularité en écrivant que "comparé aux animaux, l’homme ne vit pas seulement dans une réalité plus vaste, il vit pour ainsi dire dans une nouvelle dimension de la réalité" [3]. La biologie de l’homme autorise le jeu de la différence, elle ne commande pas le contenu de cette différence. En découle la diversité infinie des cultures et l’hétérogénéité interne des sociétés occidentales qui ne sont pas davantage unifiées autour d’une même conception des significations et des limites de la réalité. En un mot, la nature n’est pas seulement nature, elle est autre chose, matière de symbole que n’épuise aucun savoir partiel qu’il soit culturel ou scientifique (mais les sciences aussi sont filles des cultures). Une trame ininterrompue de sens et de valeurs nourrit la correspondance entre l’homme et le monde et entre les hommes eux-mêmes. Elle commande aussi ses efficacités.

Le réel est un système de connaissance et d’action, il n’est pas une rêverie détachée de l’épaisseur du monde ou un exercice d’école auquel seule excellerait la rationalité occidentale, maîtresse du vrai et du faux, juge indulgente des illusions nourries par les autres sociétés. Tout système symbolique est système d’efficacité. La nature est toujours transformée en donnée culturelle, en terrain d’alliance et d’action pour une société ou un groupe donnés, dans une époque elle-même délimitée. Si le pansement de secret ou le désorcellement coexistent au sein de la même société, avec les vols dans l’espace ou l’informatique, c’est parce qu’entre ces pratiques culturelles, il n’y a pas progrès, mais différence de vision du monde, différence d’éthique sociale. Le savoir bio-médical le plus en pointe ne réfute en rien le savoir du magnétiseur ou du radiésthésiste, ni l’inverse. Et nos sociétés multiculturelles, profondément hétérogènes, nous apprennent dans les faits à penser de plus en plus le monde dans l’inclusion des théories qui cherchent à l’élucider chacune de son point de vue, et non plus dans l’exclusive. Multiplier les approches les unes par les autres plutôt que de faire de l’une la restriction de l’autre.

Le corps n’échappe pas à la règle qui fait de toute chose un effet de la prégnance sociale et culturelle, à l’intérieur de limites infiniment variables. Il n’existe pas une nature du corps, mais une condition de l’homme impliquant une condition corporelle changeante d’un lieu et d’un temps à l’autre. Ici, on marche sur le feu au cours d’un rite religieux, ailleurs on soigne les brûlures en récitant une oraison et en soufflant sur la blessure, on guérit des maladies en régulant les énergies perturbées d’un homme malade par le seul contact physique, là on soigne en négociant avec les dieux la guérison par l’intermédiaire de la transe ou de la possession, on voit sur le sable l’avenir d’un homme. On soigne en greffant à un malade incurable un cœur sain venu d’un donneur décédé les heures précédentes. Par l’action d’une molécule on dynamise la vitalité ou l’on efface l’angoisse, etc... Il n’y a pas plus de nature de l’homme ou de nature du monde que de nature du corps. Les sociétés humaines construisent le sens et la forme de l’univers où elles se meuvent. Et les limites de l’action de l’homme sur son environnement sont d’abord des limites de sens, avant d’être des limites objectives.

Le corps est une réalité changeante d’une société à une autre, les images qui le définissent, les systèmes de connaissance qui cherchent à en élucider la nature, les rites qui le mettent socialement en scène, les performances qu’il accomplit sont étonnamment variées, contradictoires même, pour notre logique aristotélicienne du tiers exclu. Le corps n’est pas une collection d’organes et de fonctions agencées selon les lois de l’anatomie et de la physiologie, mais d’abord une structure symbolique. En d’autres termes, le savoir biomédical, le savoir officiel du corps dans nos sociétés occidentales, est une représentation du corps parmi d’autres, efficace dans les pratiques qu’il soutient. Mais sont également efficaces dans les médecines qu’elles sous-tendent les visions bien différentes du corps élaborées au sein d’autres cultures. La médecine chinoise fondée sur l’énergie (le ki) ou le magnétisme héritée des médecines populaires, en sont des exemples simples et fortement présents dans nos sociétés occidentales. Les représentations du corps forment à l’échelle du monde une nébuleuse d’images nourrissant les interventions thérapeutiques les plus opposées. Selon les sociétés l’homme est créature de chair et d’os, régie par les lois anatomo-physiologiques ; lacis de formes végétales comme dans la culture Canaque ; réseau d’énergie comme dans la médecine chinoise qui rattache l’homme à la manière d’un microcosme à l’univers qui l’englobe ; bestiaire qui retrouve en son sein toutes les menaces de la jungle ; parcelle de cosmos en lien étroit avec les effluves de son environnement, etc... Autant de sociétés, autant de représentations et d’actions différentes reposant sur ces savoirs. Le corps est une structure symbolique. Nos propres sociétés occidentales, envahies par les innombrables médecines "douces" ou "parallèles", l’importation de disciplines venues d’ailleurs telles que le yoga, l’introduction confuse de modèles énergétiques dans la médecine ou la psychothérapie, la résurgence des médecines populaires, déplaçant totalement leur cadre et leur méthode pour devenir un secteur inédit des professions libérales, etc. : ce sont là autant de modèles contradictoires du corps humain, avec lesquels chaque acteur bricole par collage la vision qu’il se fait de lui-même. Même dans nos sociétés aucune représentation du corps ne fait finalement l’unanimité [4]

Il existe peu d’ouvrages, dans le champ des sciences sociales, relevant le défi de la pluralité des mondes en même temps que leur relative unité, et posant avec rigueur la question anthropologique par excellence, celle de la nature ultime de la réalité. En I948, en publiant Il mondo magico [5] Ernesto de Martino, soulève la redoutable question des limites de la condition humaine et avance avec un rare sens de l’orientation sur le chemin sinueux de ce que la raison occidentale a nommé "magie". Terme vague, regroupant des pratiques et des représentations incroyablement diversifiées, qui évoque le "jalon d’ignorance" dont parlait M. Mauss pour attiser précisément la curiosité des chercheurs sur ces domaines vagues, lieu ici de l’ironie et de l’affrontement de visions du monde opposées. La "magie" nomme toutes les efficacités qui échappent à l’entendement rationnel, et le terme fonctionne souvent simultanément comme un refus de comprendre. Ainsi, par exemple, J. Favret-Saada a montré que les travaux sur la sorcellerie ont systématiquement éludé la question redoutable posée par l’efficacité du désorcellage [6]. Dans Il mondo magico, E. De Martino s’attaque avec force au positivisme qui récuse par principe tout ce qui échappe à une vision étroitement rationaliste du monde, autre forme d’ethnocentrisme. Il récuse avec la même force les illusions dont se nourrit la parapsychologie ou l’irrationalisme, posés à leur tour comme principes d’analyse. E. De Martino essaie de penser anthropologiquement, à travers l’examen minutieux d’une documentation ethnologique étendue et sa propre expérience de terrain dans le Mezzogiorno, un certain nombre de faits considérés comme impossibles et impensables pour une rationalité occidentale héritée des Lumières, mais constatés par des générations d’ethnologues en de nombreux points du monde. Faits qui posent précisément la question des capacités physiques de l’être humain [7] : divinations, voyances, marche sur le feu, résistance au froid, guérisons, télépathie, envoûtements ou désenvoûtements, etc. Une anthropologie rigoureuse et cohérente ne peut laisser de côté ces événements innombrables dont il faut essayer de comprendre à la fois la signification et les conditions sociales et culturelles de possibilités. En substance, E. De martino montre que les sociétés traditionnelles et communautaires ou mieux "holistes", pour reprendre le terme utilisé par Louis Dumont [8], reposent sur des conceptions de la personne bien différentes de celle posée par l’individualisme occidental depuis le XVIIième siècle. Dans ces sociétés le groupe l’emporte sur l’individu, ce dernier est le membre d’une communauté et sa singularité concourt à l’intégration du groupe, il n’est pas valorisé comme tel. Comme l’écrit M. Leenhardt, "la personne est diffuse dans le groupe" [9].

On peut ajouter que les conceptions du corps qui sont associées à ces notions socialement différentes de personne sont elles aussi fort éloignées de notre conception occidentale. Nos sociétés posent en effet l’individu comme une donnée stable, relativement autonome dans ses choix et dans ses relations aux autres, coupée de toute correspondance avec la nature, bien enfermée dans son corps, "facteur d’individuation" (E. Durkheim). Le corps occidental qui identifie l’individu est un interrupteur, il permet l’affirmation de la différence individuelle, de la poser en un "je". A l’inverse, dans les sociétés traditionnelles où la personne est subordonnée au collectif, le corps est relieur, il unit l’homme au groupe et au cosmos à travers un tissu de correspondances. Les conceptions culturelles qui disent la réalité physique de la personne font la même matière de la chair de l’homme et de la chair du monde. Il y a une sorte de porosité de la personne au monde qui l’entoure, contrairement à l’individu occidental, clos dans son sentiment d’identité, bien délimité dans son corps [10].

Pour E. De Martino l’individu occidental est un homme garanti, donné, posé avec fermeté devant un monde lui-même garanti, exploré par la science, régi par des règles immuables. A l’inverse, l’homme des sociétés traditionnelles connaît une plus grande labilité de son être, dans un ordre du monde ou tout est mutuellement relié, un monde inachevé, jamais donné une fois pour toute. La personne n’y est donc pas formée des mêmes constituants, n’est pas délimitée de la même façon. Anthropologiquement cette observation permet de comprendre des types d’efficacité qui paraissent difficilement concevables à l’entendement rationnel, même si cela ne permet que partiellement de saisir l’efficacité de guérisseurs (dans les sociétés européennes par exemple) qui fonctionnent dans un système culturel où l’adhésion qu’ils suscitent n’est que partielle, voire contestée. E. de Martino parle du paradoxe d’une "nature culturellement conditionnée", une nature dont les virtualités, jusqu’à un certain point, sont sous la dépendance de l’action collective et non pas données de façon immuable, indépendamment du regard et de l’action de l’homme. La culture ouvre, dans une nature insaisissable en tant que telle, une latitude d’action qui diffère d’une société à une autre. Le débat avec De Martino exigerait de plus longs développements que nous n’aborderons pas ici.

Le barreur de feu des campagnes européennes guérit les brûlures en murmurant une prière et en effectuant quelques gestes sur la zone brûlée. L’expérience quotidienne à son sujet montre que la brûlure s’estompe sans laisser le plus souvent la moindre cicatrice. Plus étonnant encore, le barreur agit de la même façon sur un animal brûlé. Observation banale pour nombre d’ethnologues. Observation étonnante pour celui qui voudrait obstinément maintenir un cadre de pensée biomédical pour lequel cette action du barreur est impensable et donc jugée impossible. En fait le savoir biomédical et le savoir-faire du barreur ne se réfutent pas mutuellement, ils sont anthropologiquement d’un ordre différent. La condamnation de l’un ou de l’autre n’a de sens que dans la perspective d’une relation d’intimidation et donc de pouvoir exercé légalement ou politiquement par l’un sur l’autre [11]. Le médecin et le barreur ne visent pas le même "corps". Et si les savoirs populaires nés le plus souvent dans les campagnes européennes (panseurs de secret, magnétiseurs, radiesthésistes, phytothérapeutes, barreurs, rebouteux ou autres) continuent à exercer leur vocation encore aujourd’hui, c’est parce que les usagers y trouvent leur compte. Et si la médecine moderne est aujourd’hui en crise, c’est que le modèle hégémonique du corps, n’est plus perçu par les usagers comme étant la seule autorité [12].

Si l’on met en parallèle les différentes conceptions de l’homme et du corps mises en jeu par les nombreuses médecines qui coexistent dans nos sociétés contemporaines, on voit alors de nombreuses réalités du corps se profiler. La relativité des modèles n’est plus seulement construite par l’anthropologie, elle s’impose quotidiennement à l’acteur des métropoles occidentales mis à son corps défendant devant un choix de représentations qui excède ses connaissances et lui impose un "bricolage". L’efficace de ces images consiste à intégrer l’acteur à l’intérieur d’une vision du monde collectivement admise. Soutenu par cette capacité, qu’il partage avec les membres de son groupe, de mettre un sens sur les événements et les choses qui l’entourent, il est protégé partiellement de l’angoisse qui naît de l’insolite ou de l’inconnu. Ainsi, en recourant aux représentations de son groupe, il peut à tout instant rattacher à son corps les significations dont il sait qu’elles ont l’agrément de son groupe, voire éventuellement de son groupe de référence s’il s’agit chez l’acteur du recours à une forme d’ésotérisme ou à l’emprunt à un univers culturel étranger à ses pairs. L’épaisseur du corps et le flux sensoriel qui l’anime, sont alors perçus de façon familière et ils permettent un ajustement harmonieux au milieu social et culturel. Mais s’il est privé de ce continuum, de cet échange signifiant qui rend cohérente la relation à autrui et à l’environnement, et renforce le sentiment de l’identité personnelle, s’il est, par exemple, confronté à la souffrance ou à la maladie, l’acteur est amené à consulter un spécialiste du non sens : médecin, guérisseur, leveur de sort, psychologue, rebouteux, chaman, medecine man, etc. La tâche de ce dernier consiste à supprimer la douleur, à rétablir la continuité de la relation à l’environnement, à restaurer la capacité de l’acteur d’être autonome dans ses faits et gestes. Mais comment penser l’efficacité thérapeutique ?

Un détour s’impose du côté de la victime et de l’image qu’elle se fait de son corps. Par image du corps nous entendons la représentation que le sujet se fait de son corps dans un contexte social et culturel donné et à travers son histoire personnelle. G. Pankow, à travers sa réflexion de clinicienne de la psychose, distingue deux composantes dont l’entrelacs structure existentiellement l’image du corps : la forme, c’est-à-dire le sentiment de l’unité signifiante des différentes parties du corps, de leur saisie comme un tout, de leur limite précise dans l’espace. La prégnance de cette image, au niveau de sa forme est puissamment vérifiée par l’impact souvent destructeur pour l’identité personnelle des mutilations. L’image du corps se construit également sur un contenu : l’acteur vit en effet son corps comme un univers cohérent et familier, il identifie comme siennes et signifiantes les stimulations sensorielles qui le traversent. Mais l’analyse anthropologique permet d’ajouter deux autres composantes essentielles à l’image du corps, inextricablement mêlées aux deux précédentes : celle du savoir : c’est-à-dire la connaissance, fut-elle rudimentaire, de l’idée que la société se fait de l’épaisseur invisible du corps, de ce qui le constitue, de la façon dont s’agencent les organes et les fonctions. Ce savoir, même maladroit, permet de nourrir une relation plus familière aux événements physiques auxquels l’acteur peut être confronté. Il y a enfin le registre de la valeur, c’est-à-dire l’intériorisation par l’acteur du jugement social qui le vise dans sa manière de vivre et dans ses attributs physiques. Cette composante détermine largement l’estime que l’acteur a de lui-même. Ces quatre axes enchevêtrés, d’une égale importance, sont sous la dépendance d’un contexte social, culturel, relationnel et personnel. Toutes les sociétés humaines favorisent la mise en place individuelle de cette structure anthropologique qui permet à chaque acteur d’habiter familièrement son corps avec les repères et la sécurité suffisante au déploiement de son existence. Mais l’image du corps ne doit pas être versée au seul crédit du cogito, c’est-à-dire de la pensée réflexive, des processus inconscients y entrant probablement de façon déterminante.

Dans un article mémorable, C. Lévi-Strauss, en I949, a donné une réflexion sur l’efficacité symbolique en évoquant le déroulement d’une cure chamanique reposant sur une vision du corps, bien propre ici à retenir notre attention. D’autant que par sa mise en œuvre comme levier thérapeutique, elle permet au chaman de produire l’efficacité qui libère la patiente de ses maux. Les faits recueillis se situent au Panama, chez les Indiens Cuna. Dans cette société, lorsqu’un accouchement difficile se produit, ce qui est relativement rare, il est d’usage de requérir l’aide du chaman. Dans la vision du monde du groupe les difficultés rencontrées par la femme en couches s’expliquent par le fait que Muu, la puissance responsable de la formation du fœtus, s’est écartée de sa tâche habituelle et s’est emparée du purba (l’âme) de la parturiente. L’intervention du chaman consiste dans la recherche du purba. Ce qui implique une lutte farouche contre Muu, passant par diverses péripéties, notamment l’affrontement à des animaux dangereux. Une fois Muu vaincue, le chaman peut restituer le purba à la parturiente. L’accouchement peut alors avoir lieu sans plus d’obstacles. Muu s’éloigne, non sans demander au chaman quand elle aura l’occasion de le rencontrer à nouveau. N’oublions pas, en effet, que Muu est la puissance tutélaire de la procréation et de la croissance du fœtus, il convient donc de ne pas la froisser, mais de la rappeler seulement à ses devoirs envers les hommes.

Le combat mené par le chaman et les esprits protecteurs s’inscrit dans les séquences d’un chant qu’il entonne dès son arrivée près de la parturiente. Par l’intermédiaire du récit consacré les souffrances de la femme en couches sont transposées sur le versant du mythe. Il s’agit pour les deux protagonistes de s’inscrire à l’intérieur d’une histoire déjà écrite, dont les épisodes sont tous tracés et qui leur offrent une ligne de conduite. Le mythe raconte le combat mené par le chaman au sein même du corps de la femme. Il énumère les obstacles à franchir, les menaces à déjouer, les monstres à neutraliser et qui incarnent les douleurs éprouvées par la femme :

"Oncle Alligator, qui se meut ça et là, avec ses yeux protubérants, son corps sinueux et tacheté, en s’accroupissant et agitant la queue ; Oncle Alligator Tiikwalele, au corps luisant, qui remue ses luisantes nageoires, dont les nageoires envahissent la place, repoussent tout, entraînent tout ; Neleki (k) kirpananele, la Pieuvre, dont les tentacules gluantes sortent et rentrent alternativement ; et bien d’autres encore : Celui dont le chapeau-est-mou, Celui-dont-le-chapeau-est-rouge, Celui-dont-le-chapeau-est-multicolore, etc ; et les animaux gardiens : le Tigre noir, l’Animal-rouge, etc ..."

Tel est le bestiaire terrifiant qui se meut dans le corps de la femme et donne la raison de son impossibilité à accoucher. A travers la narration du mythe qui décrit les embûches surmontées par les deux protagonistes, revivant à cette occasion les aventures vécues in illo tempore par les dieux, le chaman offre à la femme un système de sens grâce auquel celle-ci peut enfin ordonner le désordre de sa douleur, de sa fatigue, de son angoisse.

"Les esprits protecteurs et les esprits malfaisants, écrit C. Lévi-Strauss, les monstres surnaturels et les animaux magiques font partie d’un système cohérent qui fonde la conception indigène de l’univers. La malade les accepte, ou, plus exactement, elle ne les a jamais mis en doute. Ce qu’elle n’accepte pas, ce sont des douleurs incohérentes et arbitraires, qui, elles, constituent un élément étranger à son système, mais que, par l’appel au mythe, le chaman va replacer dans un ensemble où tout se tient" [13].

Dans le récit de cette cure nous retrouvons bien les axes anthropologiques de l’image du corps. Pour être vivables les processus vécus par l’acteur dans sa chair doivent être affectés, dans le sentiment qu’il s’en fait, d’une forme et d’un sens : là où ils se sont défaits par l’irruption de l’insolite, de la souffrance, de l’intolérable, il importe de leur frayer un chemin. Et le chaman assigne une forme et un sens là où se déployait auparavant un chaos de sensations brutes et absurdes. Et la mise en ordre qu’il opère, en attribuant à ce désordre une signification admise par la communauté et la malade, restitue cette dernière à l’ordre humanisé de la nature. Un moment captive d’un univers sauvage qui ne lui accordait aucune prise et la broyait, la parturiante est libérée de l’emprise de Muu, elle reprend sa situation en main en l’affectant d’une signification qui implique aussi l’action en sa faveur du chaman. Elle peut dès lors mettre son enfant au monde. A travers la symbolisation qu’il opère, le chaman débloque une situation qui paraissait figée. Pour ce faire il s’est aussi appuyé sur les deux autres axes de l’image du corps (de soi) : le savoir : c’est-à-dire qu’il a recouru à des choses bien connues de la femme, comme elles le sont de la communauté sociale à laquelle elle appartient. Le mythe évoqué ici est un partage commun, ce n’est pas un récit arbitraire ou aléatoire. La créativité du chaman, si elle existe ici, brode sur un thème connu. D’autre part, en assignant une signification à ce désordre, en l’accompagnant au fil de la lutte, le chaman lui montre la valeur qui est la sienne, l’estime où elle est tenue. Le désordre de sa chair n’efface en rien sa dignité.

Or, nous l’avons dit, la réalité du corps est d’ordre symbolique. Devant l’énigme intolérable du non-sens de la maladie, face à l’épaisseur inconnue d’une chair qui se rebelle, le rôle du chaman consiste à réintroduire du sens, à expliquer au malade, à travers le consensus nécessaire du groupe, le contenu des sensations insolites et douloureuses qui le traversent. Le malade qui semblait un instant échapper à l’ordre humanisé du monde y revient. Grâce à l’interprétation du guérisseur et à l’action qu’elle suppose à travers la narration du mythe, et dans un contexte rituel fortement investi, la malade peut reprendre le contrôle de l’accouchement qui dès lors se poursuit normalement. Mais si le symbole (le mot, le rite, la prière, le geste...) agit avec tant d’efficacité alors qu’il paraît de prime abord à nos yeux (mais aux nôtres seulement, pas aux yeux des Cunas) différents par nature de l’objet sur lequel il s’applique (la chair, la souffrance, la maladie...), c’est qu’il vient se diluer comme l’eau se mêle à l’eau au sein d’un corps qui est lui-même une matière de symbole. Il n’y a donc aucune rupture, aucune contradiction entre les deux termes de l’intervention que médiatise le chaman. Ce dernier comble une déchirure dans le tissu du sens, il colmate l’irruption douloureuse de l’incompréhensible. Par l’adjonction d’un sens nouveau, accrédité par l’acteur et la collectivité, ces actes contribuent à une humanisation ou mieux à une socialisation du trouble. Ils restituent l’acteur au symbolisme général de son groupe d’appartenance. Celui-ci doit participer, même de façon minime, à la représentation du corps à laquelle adhère le thérapeute qu’il consulte. Adhésion qu’il ne faut en aucun cas confondre avec la croyance, car elle n’est pas du registre du cogito, c’est-à-dire de la pensée réflexive, des processus inconscients y entrant probablement pour une large part.

Cette analyse permet ici d’éviter l’hypothèse dualiste qui traverse par instant les textes de C. Lévi-Strauss sur l’efficacité symbolique. Ainsi celui-ci fait-il de la cure chamanique une action essentiellement psychologique, d’autant plus justifiée à ses yeux que le chaman ne touche pas le corps de la parturiente. Il agirait en manipulant sur un plan mental des images qui ricocheraient sur un plan physique grâce à l’homologie symbolique entre ces plans différents de réalité : d’une part le désordre physiologique et d’autre part la série des images. La richesse de l’analyse de C. Lévi-Strauss bute ici sur un impensé : le modèle dualiste de la métaphysique occidentale qui distingue le corps et l’âme, l’organique et le psychologique et débouche sur ce partage du travail qui donne dans nos sociétés le corps à l’analyse des médecins et l’esprit à la sagacité des psychologues ou des psychanalystes. Mais dans l’imaginaire social de nombre de communautés humaines, nous l’avons montré ailleurs [14], le corps n’est pas nécessairement distingué de l’homme. Et d’ailleurs C. Lévi-Strauss lui-même note que

" la route de Muu’ et le séjour de Muu ne sont pas, pour la pensée indigène, un itinéraire et un séjour mythique, mais représentent littéralement le vagin et l’utérus de la femme enceinte, qu’explorent le chaman et les nuchu et au plus profond duquel ils livrent leur victorieux combat" (p 2O7).

Entre l’action du chaman et cette représentation de la chair de la femme, il n’y a pas l’épaisseur d’un souffle, et sans doute parler d’action psychologique est quelque peu réduire la structure anthropologique ici présente en posant comme un fait acquis ce qui est une question infinie : une validité du psycho-somatique, dans le sens le plus étroit du terme, c’est-à-dire l’homme comme addition d’un soma et d’une psyché avec des effets de résonance mutuelle. Mais précisement cette approche est aujourd’hui contestée, bien trop dépendante de l’héritage dualiste auquel elle cherche justement à poser une alternative [15]. La perspective dressée ici permet justement de passer d’une psycho-somatique à une physio-sémantique qui ouvre une voie moins ambiguë et bien plus fertile.

Dans le récit évoqué ci-dessus le mythe fonctionne provisoirement comme une théorie de la chair (et non du corps) qui permet directement l’action symbolique du chaman, à travers l’adhésion de la communauté. La mise de sens que réalise le chaman restitue la femme à sa condition à la fois humaine et sociale, elle la libère des tensions qui retenaient en elle sont enfant. Comme l’écrit C. Lévi-Strauss : "le chaman fournit à sa malade un langage dans lequel peuvent s’exprimer immédiatement des états informulés et autrement informulables" (p 218). Mais ce langage est une prise symbolique sur une matière dont l’élaboration relève elle-même d’une symbolisation du groupe, à savoir la chair. Les mêmes matériaux en quelque sorte sont présents dans le chant du mythe et dans la chair de la femme. Ce n’est donc pas une expression seulement verbale qui "provoque le déblocage physiologique", car le physiologique ici, sur un plan anthropologique, n’est pas autre chose que du symbolique. Ce qui échappait en lui, le chaman en a repris le contrôle grâce à une symbolisation active à laquelle la malade adhérait. C. Lévi-Strauss semble réintroduire ici une notion biomédicale (l’organique) dont il n’a pas nécessairement besoin, d’autant qu’elle le fait soupçonner d’une approche dualiste (la nécessité d’évoquer l’action "psychologique"), pour faire fonctionner l’efficacité symbolique.

On se souvient aussi de l’analogie effectuée par C. Lévi-Strauss entre le chamanisme et la psychanalyse, proches dans ce type d’intervention, mais avec une inversion de leurs termes :

"Toutes deux visent à provoquer une expérience ; et toutes deux y parviennent en reconstituant un mythe que le malade doit vivre ou revivre. Mais dans un cas, c’est un mythe individuel que le malade construit à l’aide d’éléments tirés de son passé ; dans l’autre, c’est un mythe social, que le malade reçoit de l’extérieur, et qui ne correspond pas à un état personnel ancien" (p 22O).

Là aussi, nous nous écarterons de l’analyse bien connue de C. Lévi-Strauss pour souligner un point qu’elle n’aborde pas et qui permet sans doute de mieux comprendre l’efficacité symbolique dans les circonstances sociales propres aux Cuna et, par extension, à bien d’autres sociétés. Et, par conséquent, d’approcher la compréhension de la difficulté d’action de l’efficacité symbolique dans nos sociétés occidentales, fondées sur une structure sociale individualiste et des médecines qui coupent radicalement l’homme de son corps. Sauf certaines d’entre elles dont l’efficacité demeure encore un mystère pour l’entendement rationnel mais que ces éléments d’analyse permettent de mieux saisir [16].

Il faut en effet souligner que le mythe peut ici agir comme formule de compréhension d’une situation douloureuse et de guérison pour une femme immergée dans une société "holiste", communautaire, traditionnelle, où le "nous autres" prime sur le "moi, je", en d’autres termes une société où la chair qui incarne la personne la relie à son collectif et aux différents systèmes symboliques qui donnent forme et sens à un ordre du monde. Dans ces sociétés la personne est fondue dans le collectif et sa singularité s’inscrit dans la consonance d’une même trame communautaire. A l’inverse de nos sociétés occidentales où le mythe individuel fourni par la psychanalyse (ou le médecin sur un autre registre) exige le lent cheminement du patient et non la promptitude d’action du chaman. Alors que dans le premier cas l’acteur puise directement au sein du collectif qui le porte les matériaux dont il a besoin pour penser et agir au regard de ses troubles, dans le second cas l’individu effectue sa quête individuelle, avec l’accompagnement thérapeutique du psychanalyste. Son collectif d’appartenance n’est pour lui qu’un cadre formel, un entourage a minima. En tant qu’individu il est le maître de ses choix et de son existence, moyennant l’allégeance relative à un ensemble formel de lois et de données nécessaires à la commodité de la vie sociale, et il est face à un immense bric-à-brac de repères, de valeurs, de systèmes de pensée plus ou moins investis les uns et les autres, au sein duquel il puise à sa guise. Le psychanalyste veille de surcroît au maintien de la distance avec son patient, le transfert est pour ce dernier la manière d’occuper ce retrait, de combler l’écart avec un fort investissement imaginaire qui lui permet peu à peu de construire son mythe individuel.

A partir de ces éléments de réflexion on peut faire une tentative d’approche des efficacités symboliques réalisées par les médecines "populaires" des sociétés occidentales. Et, sans doute, est-il plus juste à cet égard de parler de "guérisseurs" que de théories générales : de magnétiseurs plutôt que de magnétisme, de radiesthésistes plutôt que de radiesthésie. Ou même de médecins plutôt que de médecine. Car si l’efficacité symbolique repose sur la passion d’une technique et d’une vision du monde qui l’englobe, comme l’atteste l’histoire de Quesalid, elle est d’abord une question de personne, comme l’illustre à un autre niveau ce même Quesalid [17]. Et l’efficacité symbolique est une énergie de restauration (ou dans, d’autres circonstances, de destruction) qui se trame au cœur d’une relation sociale. Magnétiseurs, radiesthésistes, barreurs de feu, panseurs de secret, etc., ce sont là des techniques qui reposent sur une vision du monde où l’homme est un microcosme, chair non coupée de l’univers qui la nourrit et lui donne ses rythmes. Le corps ici est relieur et non interrupteur. Dans nos sociétés l’acteur qui recourt à ses approches plus ou moins de contrebande, y adhère de quelque façon, si nous admettons d’élargir cette notion bien au-delà du cogito cartésien. Il faut concevoir une notion de croyance où l’inconscient ait son mot à dire. De surcroît ce sont des thérapeutes dont le nom circule, en principe, de bouche à oreilles, étayés de réussites évoquées avec élan par l’annonciateur. La rencontre avec le thérapeute est précédée de celle de sa réputation flatteuse. Ou bien elle est enrobée du mystère qui entoure les thérapeutes clandestins, mais dont on soupçonne qu’ils possèdent des connaissances favorables. Micro-sociologiquement les "guérisseurs" construisent un dispositif social et culturel très proche de celui mis en place par le chaman. On peut penser que la qualité de présence qui est la leur, fait l’économie de la communauté qui n’existe plus dans nos sociétés. Il semble que l’intensité de la rencontre se présente comme un élément potentialisant l’énergie de restauration. Les techniques utilisées sont les opérateurs de la cure. Mais souvenons-nous que, par exemple, le barreur de feu, soigne également l’animal. L’une des tâches actuelles de l’anthropologie peut être d’identifier ces logiques et d’en analyser les conditions de possibilité, de cerner avec la précision la plus fine le fonctionnement des systèmes symboliques. L’une de ses ambitions peut être de contribuer à fonder une physiosémantique, dans le dépassement de la psycho-somatique et de son dualisme.

David LE BRETON

PSF-redaction


[1] Adresse : UFR APS, université de Paris X - Nanterre, 200 avenue de la République 92001 NANTERRE - CEDEX.

[2] Conférence faite à partir d’un article de l’auteur, "Corps et anthropologie : de l’efficacité symbolique", in Diogène (n°153) p92-107, 1991. Pour les références citées, se reporter à ce texte.

[3] Ernst Cassirer, Essai sur l’homme, Minuit, I975, p 43.

[4] Sur tous ces points, David Le Breton, Anthropologie du corps et modernité, PUF, I99O : Chapitre I et 4.

[5] Ernesto de Martino, Il mondo magico. Prolegomeni a una storia del magismo, Turin, Einaudi, I948 ; Voir également les commentaires de Mircea Eliade qui sera très marqué par cet ouvrage : Mircea Eliade, Sciences, idéalisme et phénomènes paranormaux, Critique, n°23, I948, pp 315-323.

[6] Cf. Jeanne Favret-Saada, Les mots, la mort, les sorts, Gallimard, I977.

[7] Voir aussi le relevé établi par Mircéa Eliade dans son étude sur le chamanisme, Le chamanisme ou les techniques archaïques de l’extase, Payot, I983 ; Mythes, rêves et mystères, Gallimard, I957, Chapitre V.

[8] Cf. Louis Dumont, Homo hierarchicus : le système des castes et ses implications, Gallimard, I966 ; Homo aequalis : genèse et épanouissement de l’idéologie économique, Gallimard, I977.

[9] Maurice Leenhardt, La propriété et la personne dans les sociétés archaïques, Journal de Psychologie Normale et Pathologique, I952, p 289.

[10] Selon nous, la formule moderne du corps implique une triple rupture : l’homme est coupé de lui-même (le savoir du corps n’est plus dans nos sociétés un savoir sur l’homme), coupé des autres (passage du "nous autres" au "moi, je" qui fait du corps un facteur d’individuation), et coupé de la nature (le savoir officiel du corps dans nos sociétés, c’est-à-dire le savoir biomédical, puise dans le corps même ses principes d’analyse ; le corps n’est pas un écho de l’univers, un microcosme). Sur tous ces plans dont nous ne pouvons ici rappeler le détail, nous renvoyons à David Le Breton, Anthropologie du corps et modernité, op. cit., chapitre I-2-3-4.

[11] Nous laissons ici de côté la question annexe de l’imposture. Tel n’est pas notre sujet. Il existe suffisamment de "guérisseurs" efficaces et, a fortiori, de barreurs de feu dont l’action est très spécifique, pour laisser de côté ceux qui ne s’autorisent que d’eux-mêmes et pourvoient plutôt de l’illusion que de l’efficacité. Encore qu’en la matière les choses sont difficiles à trancher puisqu’elles relèvent pour une large part de l’efficacité symbolique. En toute rigueur, c’est toujours une relation qu’il faut analyser. Ce serait d’ailleurs une autre crédulité de penser que la possession d’un diplôme universitaire garantisse de l’exercice des charlatans.

[12] Cf. David Le Breton, op. cit., chapitre 9.

[13] Claude Lévi-Strauss, L’efficacité symbolique (I), Anthropologie structurale, Plon, I958, p 218

[14] David Le Breton, Anthropologie du corps et modernité, op. cit.

[15] Le paradoxe de la psychosomatique est de s’opposer au dualisme fondateur de la médecine moderne et à sa focalisation sur le corps, en se contentant d’une addition de l’organique et du psychologique. De nombreux chercheurs aujourd’hui essaient de fonder une médecine de l’homme, en quelque sorte, qui échappe totalement à cet héritage. Le paradigme du symbolique pour penser la condition de l’homme et son ancrage dans la chair débouche sur une physiosémantique.

[16] Nous pensons par exemple aux magnétiseurs, aux radiesthésistes, aux panseurs de secret, aux barreurs de feu, etc.

[17] Claude Lévi-Strauss, Le sorcier et sa magie (I), Anthropologie structurale, op. cit., pp. I83-2O3.